Libérer Khaled Drareni, par fidélité aux idéaux de l’indépendance algérienne
Par Pierre Audin, membre du comité de soutien à Khaled Drareni, et Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) publié dans le monde 30/07/2020.
Pendant la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, des centaines de journaux ont été saisis par les autorités françaises. L’Humanité a été interdit 27 fois et a fait l’objet de 150 poursuites. Pour instaurer la censure, Paris avait mis en place un arsenal juridique pour “contrôler l’ensemble des moyens d’expression” dès le début du conflit. En 1961 était même prononcée l’interdiction des écrits qui “apportent, de quelque façon que ce soit, un appui à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités ou les lois de la République”.
L’indépendance algérienne, mise en oeuvre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que le peuple algérien eut à conquérir de haute lutte, visait à libérer le pays d’une domination coloniale fondée notamment sur le contrôle de l’information. La fidélité au combat pour l’émancipation suppose de manière évidente le respect de la liberté d’expression, particulièrement de la liberté de la presse, qui permet de vérifier l’existence de toutes les autres.
Au regard de cette histoire, nous avons du mal à nous expliquer comment le journaliste Khaled Drareni, directeur de l’information du site Casbah Tribune, également correspondant de TV5Monde et de Reporters sans frontières (RSF) en Algérie, se retrouve incarcéré depuis le 29 mars à la prison de Koléa, en pleine épidémie de coronavirus dont il avait dénoncé les dangers, pour “atteinte à l’intégrité du territoire national” et “incitation à attroupement non armé”, des motifs qui font tristement écho à la logique coloniale.
Un tel journaliste, doté d’une liberté d’esprit et d’un sens des responsabilités incontestables, devrait être l’honneur de l’Algérie. Une justice indépendante ne saurait proroger à son encontre un mauvais, voire un faux procès : il devrait pourtant comparaître à partir du 3 août pour avoir couvert les manifestations populaires du Hirak depuis le 22 février 2019, notamment sur la place Maurice Audin, ce héros de l’indépendance.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, deux autres journalistes algériens, Moncef Aït Kaci et Ramdane Rahmouni viennent d’être placés en détention à Alger. Les autorités s’enfoncent dans la spirale infernale de la répression, où de nouvelles mesures arbitraires servent à masquer les précédentes
Faut-il rappeler les engagements et les obligations des autorités algériennes ? Le pays a ratifié en 1989 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 19 protège la liberté d’opinion et d’expression. En 2016, la révision constitutionnelle consacrait la liberté de la presse. L’article 50 de la nouvelle Constitution marquait une avancée importante pour le droit à l’information en Algérie, conforme aux idéaux de tous ceux qui avaient dû lutter pour leur liberté et mis leur vie en danger face au colonialisme.
Le 5 janvier 2020, lors de son premier conseil des ministres, le chef de l’Etat algérien Abdelmadjid Tebboune appelait le gouvernement à consolider la liberté de la presse. Au contraire, quelques mois plus tard, le 1er mai 2020, il s’en prenait publiquement à Khaled Drareni, formulant des allégations n’ayant rien à voir avec le dossier, démontrant incidemment le caractère politique de la procédure judiciaire qui survient après des mois de harcèlement intense.
L’histoire du pays, ses engagements internationaux, sa Constitution et les promesses du chef de l’Etat devraient être des motifs suffisants pour que Khaled Drareni soit libéré, comme l’ont demandé une centaine de pétitionnaires en mars et le Conseil national des journalistes algériens en avril, et qu’il soit mis fin à cette procédure. Un gouvernement ne serait pas légitime à renoncer à ses propres principes au simple motif qu’on les lui rappelle.
Source: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/30/il-faut-liberer-khaled-drareni-par-fidelite-aux-ideaux-de-l-independance-algerienne_6047661_3232.html