Les JIPA 2018 : La philosophie comme garde-fou de la violence

Les journées Internationales de Philosophie d’Alger, en sont cette année à leur troisieme édition, elles auront lieu les 13 et 14 octobre 2018 à l’Institut Français d’Alger. Cette rencontre annuelle crée en 2015 par Razika ADNANI,  repose le noyau de la pensée philosophique au centre de l’intérêt « sociétal » le temps d’un questionnement, d’une réflexion, d’un événement…

Après deux premières éditions réussies, dont les thèmes ont été respectivement : « Autrui » , et « le beau », les JIPA revêtiront pour cette année l’habit de la « violence », loin d’une démarche « narrative » d’un phénomène qui est devenu une caractéristique inhérente à notre société, mais proche plutôt d’un cheminement « introspectif » qui pousserait les participants à se questionner sur les tenants et aboutissants de cette caractéristique qui est « certes » propre à l’être humain, et qui la suivi tout au long de son histoire, mais dont la maitrise et la compréhension sont plus qu’indispensables pour la garantie du civisme, et de la civilité d’une société…

La rédaction de Casbah Tribune, partenaire des JIPA, s’est entretenue avec la présidente fondatrice de ces journées, Razika ADNANI ; Entre les raisons qui ont poussé l’écrivaine et philosophe à créer cette manifestation, et le rôle du citoyen dans la construction de sa pensée « idéologique» voici les réponses qu’elle nous a données :

Comment l’idée est-t-elle née ?

Le premier facteur qui est  derrière l’idée de créer les Journées Internationales de philosophie d’Alger  est certainement la passion que j’ai pour la philosophie que  j’ai eu un grand plaisir à enseigner en Algérie pendant plusieurs années. Cependant,  le déclic s’est produit en 2014, alors que je participais au festival de philosophie de Saint-Emilion en France. Ce jour-là, j’ai rêvé d’une manifestation philosophique à Alger  qui associerait  le nom de la ville d’Alger à la philosophie.  Aujourd’hui elle en est à sa troisième édition.

Quel était l’objectif escompté au moment de penser cet événement ?

Je peux  évoquer deux  objectifs : tout d’abord  donner à la philosophie la place qu’elle mérite au sein de la société algérienne. Notre époque nous expose à des questions profondes qui font que ne nous pouvons pas nous passer des analyses que nous offre la philosophie et les Algériens ne sont pas en retrait de ces questionnements et de ce fait ne font pas exception quant à ce besoin de la philosophie et de ses analyses. Je voulais une  philosophie proche des préoccupations des individus en lui permettant de sortir de l’Université où elle est bien souvent confinée, autrement dit organiser ces rencontres avec des chercheurs et des universitaires qui vont au contact du public et aussi en abordant des thèmes plus concrets et plus ancrés dans la réalité de notre société même si les questions qui se posent à l’être humain sont les mêmes partout et ont donc une portée universelle. Pour cela notre choix a été porté sur « Autrui » pour la première édition, «  Le beau » pour la deuxième et « La violence » pour cette troisième édition.

Ensuite, que ces journées participent à la réhabilitation de la philosophie non seulement comme des théories et des concepts, mais aussi comme une attitude et un comportement qui la reflète. L’attitude  philosophique repose sur l’esprit critique et l’argumentation. Ces deux éléments sont le meilleur rempart contre l’inertie  de la pensée et le dogmatisme qui nourrit la violence ;  deux fléaux qui minent notre société et contre lesquels il faut lutter.

Combien de participants y’avait-t-il lors des deux précédentes sessions ?

Lors des deux précédentes éditions, les Algériens ont montré par leur présence et leur participation aux débats un grand intérêt pour la philosophie.

    Quelle est selon vous la place qu’occupe la pensée philosophique dans notre société, et quels seraient les « subterfuges » éventuels qui permettraient de faire renaitre cette pensée dans une société dépourvue (ou presque) justement de sens critique, et introspectif…?

Dans les sociétés de culture musulmane, la philosophie souffre d’un contentieux historique qui l’oppose à la religion.  L’idée qu’«  en islam, il n’y a pas de philosophie» attribuée à Ibn Taymiya plane encore sur les esprits. Cela n’empêche pas que beaucoup d’Algériens manifestent un intérêt pour la philosophie. La preuve en est que les journées Internationales de Philosophie d’Alger ( JIPA) ont été bien accueillies et ont réussi à s’implanter dans le paysage culturel algérien et les termes « philosophie » et « philosophe » sont utilisés avec plus d’aisance qu’il y a quelques années. Cependant, la philosophie ne trouvera réellement sa place dans notre société qu’avec l’émergence d’une réelle pensée philosophique qui non seulement prend part aux débats philosophiques mais aussi propose des réponses et construits ses propres théories et concepts.

 Vous avez introduit dans le programme des JIPA des ateliers philosophiques pour enfants et adolescents ; quel est leur intérêt ?

C’était la nouveauté de l’année dernière. L’objectif des ces ateliers n’est pas d’apprendre aux enfants et aux adolescents les grandes théories philosophiques, mais de leur inculquer cette attitude philosophique dont nous avons parlé.  « L’esprit tout comme le corps a besoin de s’habituer dès l’enfance aux bonnes manières qui créent en lui l’aptitude à s’interroger, ce qui est indispensable à toute vivacité de la pensée » et l’habitude à argumenter ses opinions ; la certitude que seule l’argumentation fait la valeur d’une idée est celle qui lui permet de   s’empêcher, et cela par principe,  d’imposer ses idées par la force, ce qui est indispensable dans toute bonne relation avec l’autre.

La violence est un thème qui vous interpelle particulièrement étant donné que vous l’avez abordé dans vos écrits ?

La violence interpelle toute l’humanité. Elle interpelle les algériens d’une manière particulière étant donné qu’elle est devenue une partie intégrante de leur quotidien. Ils la subissent dans la rue, sur le lieu du travail et au sein même de la famille. Il est donc  important  tout d’abord de se poser des questions pour comprendre pourquoi le penchant de l’être humain pour la violence.  Ensuite de saisir pourquoi certaines sociétés sont arrivées à une certaine maturité qui se reflète sur le comportement non violent de ses individus alors que d’autres sombrent dans « la violence au quotidien ». Et  enfin  de savoir ce que les philosophes ont dit à son sujet.

Pourquoi la philosophie ?

 Parce que donner à la philosophie toute la place qu’elle mérite au sein de la société, lui reconnaître son rôle, celui d’être proche de l’individu et de ses questionnements, s’impose aujourd’hui plus que jamais. Notre mode de vie, les enjeux politiques, sociaux et économiques nous exposent à des questionnements profonds qui ne peuvent se passer des analyses que nous offre la philosophie.

Parce que la philosophie n’est pas seulement l’art de former des concepts : une telle définition présenterait la philosophie comme une discipline qui s’intéresserait plus aux idées qu’à la réalité, et cette image est l’une des raisons qui ont éloigné la philosophie du public.

Parce que, si la philosophie ne répond pas avec certitude à nos questions, en revanche, elle nous propose plusieurs « voix » possibles. En nous faisant admettre notre incapacité à atteindre la vérité absolue, elle nous apprend à écouter l’autre, elle nous apprend la tolérance.  

 

Razika ADNANI:

Présidente Fondatrice des Journées
Internationales de Philosophie d’Alger